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Conduits par l’Esprit au désert

Tea Frigerio
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26 Février 2023

«Jésus fut conduit au désert par l’Esprit.» Avec ces paroles, la communauté de Matthieu donne une continuité dans la présentation de Jésus : le même Esprit qui, dans le baptême, ouvre les cieux et déclare que Jésus est le Fils bien-aimé, le conduit maintenant au désert sans en cacher le but : être tenté.

Le baptême avait été l’appel et l’envoi en mission, mais maintenant, avant de se mettre en route, il doit témoigner qu’il est vraiment le Fils bien-aimé.

« Après avoir jeûné pendant quarante jours et quarante nuits, il eut faim. Le tentateur s’approcha de lui... ». Quarante ... nombre qui éveille des souvenirs féconds dans nos esprits : l’eau du déluge qui renouvelle la terre et l’humanité ; la marche dans le désert pour oublier l’Egypte et apprendre de nouvelles relations économiques, politiques, sociales et religieuses ; le voyage d’Elie à l’Horeb, où dans le silence il redécouvre le visage de Yahvé, un visage présent dans les petites choses et dans les derniers, une voix qui l’invite à reconnaître qu’il n’est pas le seul fidèle au Dieu de la vie.

Carême, quarantaine, quarante jours : temps opportun, temps de kairós, temps qui nous demande de nous mettre en route, et, en marchant, observer où posent nos pieds, nous placer pleinement dans la réalité qui nous défient de contempler avec un nouveau regard vie et mort, fragilité et héroïsme, impuissance et créativité, individualité et collectivité, égoïsme et solidarité, maison et universalité, local et global, désespoir et espoir, insécurité et confiance, ....

Je vous laisse le soin de continuer à énumérer les contradictions que nous vivons en ces temps : en République Démocratique du Congo, au Soudan du Sud, en Turquie et en Syrie, au pays des Yanomami... Que la Parole nous éclaire et nous conduise, qu’elle nous rende capables d’écouter, de voir, de connaitre, qu’elle nous désinstalle, nous mette en sortie, en chemin pour rencontrer.

Le Carême est un voyage, c’est un processus, c’est un temps de transformation. Du désert naît toujours le nouveau. Quel est notre désert ? Quel est le jeûne qui nous prépare à la tentation ?

La communauté de Matthieu, fidèle à ses origines, nous invite à contempler Jésus.

« Si tu es le Fils de Dieu, ordonne que ces pierres deviennent des pains ». Quarante jours sans manger : jeûne, faim, réalité ou fantasme, déformation de la réalité… Faim, malnutrition : au Brésil, pendant le Carême, la Campagne de la Fraternité de cette année nous invite à réfléchir sur la faim. Il n’y a pas si longtemps, nous avons vu les images scandaleuses de la faim du peuple Yanomami, mais combien d’autres situations similaires : il suffit de prendre un vol rapide au-dessus du monde.

Le pape François nous rappelle : « Nous produisons assez de nourriture pour tous, mais beaucoup sont privés de leur pain quotidien. C’est un véritable scandale, un crime qui viole les droits humains fondamentaux. Il est donc du devoir de chacun d’éradiquer cette injustice par des actions concrètes et de bonnes pratiques, par des politiques locales et internationales courageuses » (le pape François, 2021, libre traduction).

A la tentation du pouvoir économique de concentrer pour lui les biens de la terre, Jésus répond : « Ce n’est pas seulement de pain que l’homme doit vivre, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ». Quelle est la parole de Dieu ? Nous le comprenons lorsqu'il apprendra à ses disciples à partager le pain en disant : « Donnez-leur vous-mêmes à manger » (Mt 14,16) et qu'il leur apprendra à prier : « Notre Père... Notre Pain ».

Le diable a raté le premier coup, mais il ne se décourage pas : « Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas ». Il l’attire par la tentation du pouvoir religieux. Jamais comme en ces temps la religion n’est utilisée pour légitimer le pouvoir, le désir de dominer. Ici au Brésil, on l’a répété maintes et maintes fois : « Dieu avant tous et le Brésil avant tout ». Des politiciens se présentent  le chapelet à la main en faisant des discours qui nient la citoyenneté, la possibilité d’un avenir pour tant de personnes. Je ne vais pas énumérer d’autres exemples et je vous laisse le soin de revoir ces scènes ; je rappelle seulement combien le conservatisme crie pour la défense de l'enfant à naître alors qu’il dénie le droit à la pleine vie à de populations entières. Le pouvoir religieux qui manipule, aliène pour dominer... A cette tentation Jésus répond : « Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu ».

« Le démon l’emmène encore sur une très haute montagne et lui fait voir tous les royaumes du monde avec leur gloire. Il lui dit : Tout cela, je te le donnerai, si tu te prosternes pour m’adorer.» Le diable joue la dernière carte : le pouvoir total : économique - politique - idéologique - social et religieux, si tu m’adores, si tu cèdes à mon projet ! Le projet du contrôle sur les biens, sur la maison commune, sur les peuples, sur les individus. Ne pas admettre la diversité. Ne pas admettre l’autonomie. Ne pas admettre la liberté de pensée, d’aimer. Ne pas admettre ...

Maintenant, je demande un moment de silence et je laisse à chacun de nous de donner un visage et un nom à tant de situations et de réalités qui reflètent les trois tentations vécues par Jésus. Mais pas seulement : regardons en nous et reconnaissons en nous la semence de ces tentations... Quel chemin Jésus nous montre-t-il pour les éradiquer ?

Et Jésus répondit : «C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, et c’est lui seul que tu adoreras». En Jésus, il n’y avait pas de place pour le plan du diable : tout son être était rempli du plan du Père. Toute sa vie a été une adoration, un culte rendu au Seigneur Dieu.

L’adorer, le reconnaitre dans le boiteux, le paralytique, l’aveugle, dans la femme qui saigne, dans la fille de Jaïre, dans la foule dispersée sans berger et affamée...

L’adorer en soignant, en libérant des idéologies, en consolant et en accueillant, en annonçant «Heureux êtes-vous», en s’identifiant : «Ce que vous avez fait à l'un de ces petits, c'est à moi que vous l’avez fait !».

Maintenant, je reprends une pensée exprimée au début : le Carême est un voyage, c'est un processus, c’est un temps de transformation. Du désert naît toujours le nouveau. Quel est notre désert ? Quel est le jeûne qui nous prépare à la tentation ? Comment pouvons-nous être si pleins du projet de Jésus que nous n’ayons pas de place pour le projet du diable ?

Le Carême est un temps de vérification, d’interrogation sur notre fidélité dans le cheminement de disciples de Jésus. Cheminer c’est suivre les traces du Maître et avec Lui voir - écouter - reconnaître - accueillir - être le visage de l’amour du Père.

Bon Carême à moi, à nous tous et toutes.