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Notre pâque, le Christ, a été immolée

Teresina Caffi
569
13 Avril 2020

«Purifiez-vous di vieux levain pour être une pate nouvelle, puisque vous êtes des azymes. Car notre pâque, le Christ, a été immolée » (1Co 5,7)

La Pâque ancienne

Parmi les offrandes que nos ancêtres présentaient aux médiateurs de Dieu était prévue, avec les prémices des récoltes, une tête de petit bétail. On le sacrifiait et on le partageait avec eux pour demander la fécondité des familles, du troupeau, des champs, la guérison, la protection lors des calamités et des guerres.

A l’occasion de la pleine lune du printemps, avant de transférer leurs troupeaux à d’autres pâturages, les anciens Israélites aussi offraient et consommaient un agneau, pour demander la protection pour ce voyage. A l’occasion de la sortie d’Egypte, ce rite prit un sens nouveau : ce fut le début de leur liberté. Signalés par le sang de cet agneau mis sur les portes, ils furent épargnés du dernier fléau, et, nourris par cette nourriture, ils trouvèrent la force de se mettre en voyage (Ex 12,1-14).

Désormais ce rite ne marquait plus le passage des pâturages d’hiver à ceux de l’été, mais celui du Seigneur qui leur ouvrait le chemin de la liberté, et en même temps leur passage de l’Egypte au désert vers la terre de la promesse. Chaque année, ce rite devait leur rappeler ce moment fondateur de leur identité de peuple que le Seigneur avait libéré de l’esclavage et appelé à lui, pour en faire son peuple par les dix paroles de l’alliance données au Sinaï.

A chaque Pâque, les enfants demandaient aux parents la raison de ce repas particulier (Ex 12,26-27) et ces derniers leur racontaient de la sortie d’Egypte, en se considérant eux-mêmes sortis avec leurs ancêtres. « En chaque génération, chacun est tenu à se considérer comme si lui-même était sorti d’Egypte, car le Seigneur – qu’Il soit béni – n’a pas libéré que nos pères, mais nous aussi avec eux », enseignait Rabbi Gamaliel au 1er siècle de notre ère.

Ce n’était pas qu’un mémorial du passé : les Israélites célébraient la certitude de continuer à être ce peuple choisi et l’attente du Messie qui viendrait, précédé par Elie, apporter au peuple la pleine délivrance. La plus importante parmi les fêtes de pèlerinage, Pâque réunissait à Jérusalem tous les Israelites qui pouvaient s’y rendre. Jésus lui-même s’y est rendu depuis l’âge de douze ans, comme nous le dit Luc.

La Pâque de Jésus

Pendant son ministère, selon l’évangéliste Jean, Jésus célébrera trois Pâques à Jérusalem : la dernière sera la sienne. Le don de lui-même qu’il accomplit à Jérusalem se réalisa en effet à l’occasion de la Pâque juive, non pour la remplacer, mais pour l’accomplir. Pour les Synoptiques (Mt, Mc et Lc) le repas d’adieu de Jésus avec ses disciples fut le repas pascal – pour les Juifs le jour commence le soir avant -: Jésus donc serait mort le jour même de la Pâque juive. Jean par contre situe la mort de Jésus à la veille de Pâque, au moment où, dans le Temple, les Juifs égorgeaient les agneaux qu’ils auraient consommés le soir dans leurs familles comme repas pascal. Ainsi nous comprenons ce que Jean Baptiste avait déclaré : « Voici l’agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde » (Jn 1,29).

A part la question chronologique, à laquelle on formule des hypothèses de solution, un même message lie les Synoptiques et Jean : les uns soulignent l’aspect sacramentel de la Pâque de Jésus (institution de l’Eucharistie), l’autre l’aspect réel : l’effective mort de Jésus sur la croix. Depuis lors, l’Eglise a célébré l’Eucharistie, d’abord hebdomadaire, comme un mémorial de la Pâque de Jésus. Elle a commencé bientôt à célébrer la Pâque annuelle en ce sens : mémoire solennelle du passage de Jésus de ce monde à son Père, qui inclut, inséparablement, la passion, la mort, la résurrection de notre Seigneur Jésus. C’est ainsi que Paul a pu déclarer, avec une merveilleuse synthèse : « Notre Pâque, le Christ, a été immolée ».

Jésus passe, comme le peuple d’Israël ; il s’est offert, comme l’agneau du passage : à la fois prêtre et victime. Il n’est pas mort seulement à cause de nous, mais pour nous, à notre profit (Mt 26,28).  Ce qui rend extraordinaire sa vie c’est le choix de la donner librement : « Personne ne me l’enlève ; mais je la donne de moi-même ! » (Jn 10,18a). Chaque Eucharistie nous le rappelle : c’est Jésus qui dit : « Prenez, mangez… Buvez-en tous » mon corps et mon sang, et il le dit au moment où il peut encore échapper à la mort. Nous ne lui avons rien ravi, car il nous avait déjà tout donné. La résurrection a été la réponse de Dieu à son cri des profondeurs de la souffrance et de l’abandon.

Par sa mort victorieuse, Jésus nous libère de l’esclavage qui atteint nos cœurs, où le mal a le dessus sur nos désirs de bien et la recherche de nous-mêmes sème autour de nous tristesse et mort. Jésus entre dans la mort pour la vider et y mettre sa vie, la vie éternelle.

Notre Pâque

Jésus « passe » pour nous entrainer, nous faire sortir de nos tombeaux. Car, nous rappelle Augustin, il est le chef et nous sommes son corps : comme dans une naissance, il nous entraîne avec lui. Célébrer la Pâque de Jésus c’est célébrer notre Pâque : les deux sont inséparables, car en lui nous aussi nous avons le Père comme destination. C’est accepter de faire aussi le passage, mieux, de nous laisser entrainer par lui dans ce même passage, comme dit Augustin : « Par sa passion, le Christ passe de la mort à la vie et aplanit ainsi le chemin à nous qui croyons dans sa résurrection, afin que nous aussi nous passions de la mort à la vie ».

Et que signifie se laisser entrainer par lui ? C’est devenir ce qu’il nous a rendus, des hommes et des femmes nouveaux, recréés à l’image de Dieu, ses enfants. C’est pour cela que Paul rappelle aux Corinthiens : « Vous êtes des azymes ». Du pain nouveau, sans le levain qui était la pâte fermentée du jour avant. Pâques est la possibilité offerte, par la mort victorieuse de Jésus, de mourir à toute complicité avec les ténèbres : car le Christ, notre lumière, s’est levé !

Empêchés cette année de vivre physiquement ensemble cette fête, nous pouvons néanmoins la vivre en nous-mêmes et dans nos milieux, par une vie transformée. Persécutés par l’empereur Decius, des premiers chrétiens témoignent : « On nous exila, et, seuls parmi tous, nous fûmes persécutés et mis à mort. Mais même alors nous avons célébré la fête (de Pâques). Tout lieu où l’on souffrait devint pour nous un endroit pour célébrer la fête : que ce soit un champ, un désert, un bateau, une auberge, une prison. Les martyrs parfaits célébrèrent la plus splendide des fêtes pascales, étant admis au festin céleste ».

Quelle sera-t-elle, ma Pâque, si non une rencontre plus profonde avec Celui qui est vivant ? Une disponibilité plus grande à laisser mouiller ma terre asséchée par l’eau et le sang qui coulent de son côté ouvert pour qu’il pétrisse en moi l’homme nouveau, la femme nouvelle, son image et image du Père ? pour qu’il sème par moi encore aujourd’hui en ce monde cet amour immense dont il nous a aimés ?

Que la joie de ce jour soit en nous, comme dit encore Augustin : « Joie dans le mémorial de la passion et de la résurrection du Christ ; joie dans l’espérance de la vie future. Si l’espérance donne tellement de joie, que sera la possession ? ». Il va au Père, mais il reste avec nous. Il va au Père, mais il reviendra, ou il émergera des profondeurs de cette histoire où il a soufflé son Esprit, qui fait toutes choses nouvelles. « Je suis la Paque du salut. Je suis l’Agneau immolé pour vous. Je suis votre rançon. Je suis votre vie. Je suis votre résurrection. Je suis votre lumière » (Méliton de Sardes, 2éme siècle ap. JC).

Joyeuses Pâques !